5 min de temps de lecture 14 févr. 2024

Décarboner nos organismes de prestations sociales : une urgence encore trop négligée ?

Auteurs
Hervé de la Chapelle

Associé, Consulting, Leader Secteur Public, Europe West, France

Depuis plus de 20 ans aux cotés des acteurs de la transformation de l’action publique : Innover, co-créer, réinventer l’action publique et donner confiance en l’avenir.

Jessica Chamba

Associée Santé social EY France

Co-fondatrice et dirigeante d’un cabinet spécialisé dans le secteur médico-social pendant 10 ans, Jessica accompagne les transformations du secteur médico-social et sanitaire.

5 min de temps de lecture 14 févr. 2024

Au même titre que l’ensemble des acteurs publics, les organismes de protection sociale ont un rôle majeur à jouer en s’inscrivant dans une dynamique de décarbonation.

C’est dans ce contexte qu’EY Consulting a réalisé un sondage et une analyse des conditions de réalisation de la décarbonation des organismes de protection sociale. Cet article a pour but de présenter les principaux enseignements de ces travaux.

La France est engagée dans une démarche ambitieuse de neutralité carbone, alignée sur les objectifs européens de net zéro à l’horizon 2050. Les orientations, définies au travers de la stratégie nationale de planification écologique, devront permettre de répondre à la nécessité d’agir en matière de décarbonation. Les effets du dérèglement climatique se font sentir de façon régulière (incendies et sécheresse dès le printemps, canicules jusqu’en septembre, inondations imprévisibles…) et les citoyens sont aujourd'hui prêts à s’engager pour réduire leurs émissions.

Toutes les Conventions d’objectifs et de Gestion (COG) des organismes de sécurité sociale affichent aujourd'hui clairement leurs ambitions en matière de décarbonation.

La priorité politique est claire : les objectifs de RSO et/ou de décarbonation constituent un pilier de toutes les dernières Conventions d’Objectifs et de Gestion.

Présentant de nombreuses similitudes, nous retenons 4 principaux axes de mise en œuvre des trajectoires de réduction des principaux postes émissifs :

1) Réduire l’impact carbone des bâtiments et faire évoluer l’organisation du travail et des déplacements

L’augmentation du télétravail et l’évolution des modes de contact avec les organismes sociaux comptent parmi les principaux facteurs structurels permettant aujourd'hui aux Caisses d’inscrire dans leurs objectifs une réduction des émissions liées aux déplacements professionnels ou domicile-travail. Le télétravail rend également possible une rationalisation de la surface de bureaux, permettant in fine des économies d’énergie, allant de pair avec une réduction des coûts.

Ainsi, la quasi-totalité des COG prévoit de réduire les surfaces occupées ainsi que la consommation énergétique des bâtiments en conformité avec le décret tertiaire (-40% d’ici à 2030), ou encore de remplacer au moins 50% de la flotte automobile par des véhicules à faibles émissions tout en limitant les déplacements professionnels.

2) Développer la réalisation de bilans carbone, le numérique responsable et la responsabilisation de la politique achats

L’ensemble des branches intègre également la question de l’impact carbone de chacune de leurs politiques métier. La sobriété en matière de déchets, de consommation de papier et d’usage responsable du numérique est aussi mise en avant pour les activités de bureau.

Ainsi,  à titre d’exemple, toutes les COG prévoient de réduire l’empreinte carbone du numérique (optimiser les data centers, les solutions cloud, arrêter les serveurs et composants applicatifs inutilisés…). De même, les organismes de protection sociales sont nombreux à prévoir de concevoir et acheter des services numériques plus responsables (matériels reconditionnés…) ou de renforcer l’intégration de clauses environnementales spécifiques (écolabel, usage de matériaux durables…) dans leurs politiques d’achat. Enfin, conformément à la législation en vigueur, les organisations de plus de 500 salariés réalisent leur bilan carbone.

3) Diminuer l’impact environnemental des politiques métier et intégrer la dimension environnementale dans les prestations versées ou les établissements et services financés par la branche

Les branches Famille, Maladie et Autonomie disposent de leviers financiers supplémentaires pour agir sur les établissements et services relevant de leur champ d’intervention. Ainsi, elles envisagent de conditionner le versement de certains financements au respect d’engagements écologiques ou d’encourager cette transformation via des leviers financiers.

La Cog de la Cnaf prévoit par exemple d’intégrer la notion de performance énergétique dans les critères de non-décence des logements. La Cnam souhaite intégrer un volet transition écologique à l’ensemble des accords conventionnels professionnels (ex : médicament à l’unité). Enfin, la Cnsa a publié un rapport avec le shift project sur la décarbonation des politiques de l’autonomie, identifiant les leviers de décarbonation des structures qui accompagnent les personnes relevant de la branche.

4) Piloter et mesurer l’atteinte des objectifs

Même si cet axe demeure embryonnaire dans les COG, il n’en reste pas moins fondamental afin de disposer d’une démarche définie, pilotée, etévaluable.

La COG de l’URSSAF prévoit ainsi notammentde définir un schéma directeur de responsabilité sociétale des organisations (RSO) qui intègre des éléments de pilotage et d’évaluation. Celle de la Cnav prévoit également de permettre à la branche de mesurer son impact afin de diminuer son empreinte carbone de 25% par rapport à 2021.

De façon plus générale, force est de constater que les engagements relatifs à la décarbonation comportent encore peu d’indicateurs chiffrés par rapport aux engagements métier. Les branches se réfèrent surtout aux objectifs fixés par le décret tertiaire et par palier (-10% en 2024, -40% en 2030, -50% en 2040, -60% en 2050). Seuls les organismes de plus de 500 salariés sont concernés par l’objectif d’effectuer un bilan carbone.

Dans l’analyse réalisée par EY Consulting, près de 100 milliards d’euros de prestations sociales versées chaque année, soit plus de 11% du total des prestations sociales actuellement versées, pourraient être utilisées pour contribuer, par un effet incitatif ou plus contraignant, à une réduction des émissions de carbone sur le territoire.

En plus d’adresser les risques sociaux auxquels elles sont directement liées, ces prestations pourraient intégrer des enjeux d’ordre environnemental : conditionnement ou bonification du financement d’opérateurs au respect de critères, éligibilité d’un logement à l’APL sous conditions d’isolement…

Par ailleurs, nous constatons que 80% de ce potentiel de décarbonation repose sur le risque Santé, en particulier sur les dépenses de financements d’opérateurs et sur le remboursement des médicaments. Le développement de la prévention aurait ainsi comme externalité positive de réduire les émissions carbones liées à la santé.

Il y a donc bien là de nombreuses complémentarités et convergences possibles entre les objectifs d’amélioration du service public et les objectifs de décarbonation, pour autant que l’on accepte de réellement faire évoluer les pratiques et d’investir dans la transformation des structures.

EY a également fait réaliser une enquête par le CSA  auprès d’un panel représentatif de 1011 Français au printemps 2023 . Cette enquete confirme les attentes fortes des citoyens envers leurs décideurs. 

En effet, 71% des Français sont favorables à la participation des politiques sociales à l’objectif de neutralité carbone et 73% pensent que la protection sociale devrait intégrer des aides spécifiques pour faire face aux conséquences du dérèglement climatique.

Parmi ces acteurs publics, ce sont en particulier les acteurs du logement, mais aussi de l’éducation, de la santé et de l’autonomie qui sont attendus dans cette trajectoire de décarbonation.

Ces acteurs sont avant tout attendus sur l’amélioration de la sobriété énergétique de leurs locaux, les critères éco responsables d’achat public et l’accessibilité des guichets physiques d’accueil.

73% des Français considèrent même que la protection sociale devrait à l’avenir intégrer des dispositifs d’aide  permettant de les protéger des conséquences du dérèglement climatique, et ils sont 39% à considérer que ce sont tant les particuliers que les entreprises qui devraient financer ces dispositifs (32% seulement les entreprises, 4% seulement les particuliers).

Ce qu'il faut retenir

Ainsi au vu des efforts très importants à réaliser et dans un contexte de fortes attentes exprimées par la population, il semble donc urgent d’agir, en orientant de façon prioritaire les actions et les financements vers des projets permettant de franchir de nouvelles étapes en termes de neutralité carbone. Un prochain article nous permettra de présenter de façon plus détaillée certains leviers à cette fin.

A propos de cet article

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Hervé de la Chapelle

Associé, Consulting, Leader Secteur Public, Europe West, France

Depuis plus de 20 ans aux cotés des acteurs de la transformation de l’action publique : Innover, co-créer, réinventer l’action publique et donner confiance en l’avenir.

Jessica Chamba

Associée Santé social EY France

Co-fondatrice et dirigeante d’un cabinet spécialisé dans le secteur médico-social pendant 10 ans, Jessica accompagne les transformations du secteur médico-social et sanitaire.